L’accessibilité numérique doit être une priorité politique pour la citoyenneté effective des déficients visuels

visionet69 Par Le 07/06/2022

La quasi-totalité des sites Internet sont toujours inaccessibles aux personnes aveugles et malvoyantes et la loi Handicap du février 2005 est un échec, dénonce dans une tribune au « Monde », Sylvain Nivard, président de l'Association Valentin Haüy.

Aujourd'hui, près de deux millions de déficients visuels se heurtent quotidiennement à une réalité alarmante : quatre-vingt-dix pour cent des sites Internet sont inaccessibles. Dix-sept ans après l'adoption de la loi sur le handicap du 11 février 2005, qui pose le principe de l'accessibilité aux personnes handicapées des services de communication au public en ligne, des services de l'État, des collectivités territoriales et des établissements, son échec est sans appel. L’accessibilité numérique doit pourtant être une priorité politique pour la citoyenneté effective des personnes aveugles et malvoyantes comme celle de douze millions de personnes en situation de handicap. Il est urgent que les candidats à la présidentielle s'en emparent pour faire du numérique inclusif une réponse politique à la hauteur de cet enjeu majeur, porté de longue date, par le collectif inter-associatif des déficients visuels.

La pratique du Web par la population déficiente visuelle est encore une réalité sociale largement méconnue. Alors même que l'unique condition d'accès à internet est de disposer de l'équipement technique adapté, soit grâce à un lecteur d'écran pour les aveugles, soit grâce à des logiciels d'agrandissement pour les malvoyants, la question de l'accessibilité numérique a souffert d'un manque de volonté politique dont les conséquences ont explosé avec l‘accélération de la transformation numérique liée à la crise sanitaire.

 

Ambitions à la baisse

Sur les deux cent cinquante démarches administratives les plus utilisées par les Français, seules vingt pour cent respectent les normes d'accessibilité. Un comble, lorsque l’on sait qu'il suffit par exemple de proposer une alternative textuelle de façon systématique pour permettre aux déficients visuels de lire des photos ou des images sur un site internet. Un paradoxe, car ils peuvent pourtant payer leurs impôts en ligne sur le site Impots.gouv.fr, l'un des rares à respecter parfaitement les normes d'accessibilité.

La prise en compte du handicap est un enjeu de justice sociale qui concerne toute la société. Les besoins primaires les plus essentiels des personnes aveugles et malvoyantes sont eux aussi contraints par ce défaut d'accessibilité numérique. Sur le plan professionnel, travailler et se former, à distance et sans assistance, relève encore du parcours du combattant. Sur le plan personnel, les difficultés rencontrées en matière d'accès aux soins, à la culture, à la consommation ou aux réseaux sociaux, notamment pour conserver un lien social, sont réelles. Sans accessibilité numérique, la citoyenneté effective des déficients visuels est un leurre. L’article 47 de la loi Handicap du 11 février 2005 a rendu obligatoire l'accessibilité aux personnes handicapées des services et outils en ligne destinés au public. En parallèle de la dématérialisation croissante des services publics, le gouvernement français révise pourtant régulièrement à la baisse ses ambitions en matière d'accessibilité numérique. Le 6 septembre 2021, le ministère de la transformation et de la fonction publique a fait passer de quatre-vingts pour cent à trente-neuf pour cent son objectif de rendre les démarches numérisées accessibles aux personnes en situation de handicap. Une autorité de contrôle et de sanction prévue en juin 2022, la transposition en droit français de l'Acte législatif européen sur l'accessibilité sera une étape décisive pour la création d'une société numérique en faveur de l'inclusion des personnes déficientes visuelles, et plus largement des personnes en situation de handicap.

Il y a urgence ! Pour faire du numérique responsable une opportunité pour tous et permettre aux déficients visuels de vivre normalement et en autonomie, nous défendons la mise en place d'une autorité de contrôle et de sanction dotée de moyens pour agir afin de pouvoir sanctionner de manière spécifique le défaut d'accessibilité numérique. Nous appelons aussi au développement d'une filière certifiante des métiers de l'accessibilité du numérique, absolument nécessaire à un changement culturel des pratiques. Nous souhaitons enfin agir pour conditionner l'octroi des aides publiques et l'accès aux marchés publics à une démarche inclusive. Les personnes déficientes visuelles sont en première ligne pour faire d'internet un véritable levier d'inclusion sociale et d’autonomie ! Il est urgent d'agir, pour leur permettre de vivre en citoyens autonomes et d'exercer leurs droits les plus élémentaires.

Sylvain Nivard est président de l’association Valentin Haüy et vice-président de la Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et amblyopes (CFPSAA).

Le Monde.fr le 2 février 2022

Tribune Sylvain Nivard, Président de l'Association Valentin Haüy